LE FOU
poème de Padraic Pearse, héros & poète irlandais , traduit par Jean-Pierre Le Mat
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Puisque les sages ne le disent pas, je le dis, je suis seulement un fou ;
Un fou épris de sa folie
Oui, plus que les sages ne le sont de leurs livres, de leurs comptoirs, de leurs maisons paisibles,
Ou de leur renommée dans la bouche des hommes ;
Un fou qui durant ses jours n'a jamais agi avec prudence,
Qui ne s'est jamais préoccupé du coût, ni de savoir si quelqu'un d'autre récoltait
Les fruits de ses puissantes semailles, se contentant de semer les graines ;
Un fou sans remords qui bientôt, quand tout finira,
Rira dans son cœur solitaire, quand les épis mûrs tomberont sous les faucilles
Et que le pauvre qui était affamé sera rassasié,
Alors que lui a faim.
J'ai gaspillé les années splendides que le Seigneur Dieu m'a donné, dans ma jeunesse
En tentant des choses impossibles. Je pensais qu'elles seules valaient la peine.
Etait-ce folie ou grâce ? Ce n'est pas les hommes qui me jugeront, mais Dieu.
J'ai gaspillé les années splendides :
Seigneur, si de nouveau je les avais, je les gaspillerais de nouveau.
Allez, éloignez-les loin de moi !
Car j'ai entendu ceci dans mon cœur, qu'un homme doit dépenser et non pas amasser,
Il doit agir aujourd'hui et non penser au lendemain,
Il ne doit pas marchander ni discuter avec Dieu : ou était-ce une plaisanterie du Christ,
Et est-ce ma faute devant les hommes, de L'avoir pris au mot ?
Les juges se sont rassemblés, des hommes aux visages effilés et longs.
Ils ont dit, « Cet homme est un fou ». D'autres ont dit « Il blasphème ».
Les sages ont eu pitié du fou, qui a lutté pour donner vie
Dans le monde du temps et de l'espace, dans la masse des choses réelles,
A un rêve qui fut rêvé dans le cœur et que seul le cœur peut comprendre.
O, hommes sages, voici mon énigme : qu'adviendra-t-il si le rêve devient réalité ?
Qu'adviendra-t-il si le rêve devient réalité ?
Et si des millions à naître vivaient plus tard
Dans la maison que j'ai bâtie dans mon cœur, la noble maison de mes pensées ?
Seigneur, j'ai risqué mon âme, j'ai risqué la vie de mes proches
Sur la foi de ta terrible parole. Oublie mes faiblesses,
Mais souviens-toi de ma foi.
Et je déclare
Oui, avant que ma jeunesse folle ne passe, je parle à mon peuple et je lui dis :
Vous devez être aussi fou que moi ; vous devez semer et non pas engranger
Vous devez tout risquer, ou sinon vous perdrez ce qui vaut plus que tout ;
Vous devez réclamer un miracle et prendre le Christ au mot.
Et je répondrai de tout cela ; O mon peuple, j'en répondrai ici et dans l'au-delà.
O mon peuple que j'ai aimé, ne devons-nous pas en répondre ensemble ?
Padraic Pearse.